7. Dire le droit en islam. Des grandes écoles juridiques (VIIIe – Xe siècles) à nos jours

Introduction
La gestion du juridique revêt une grande importance dans toute société, elle représente aussi un enjeu politique. Dans l'immense domaine de l'expansion de l'islam, la jurisprudence dut clarifier les pratiques judiciaires des peuples aussi divers que les tribus d'Arabie, les Iraniens, les Berbères, les Indonésiens, les Malaisiens… conformément aux normes islamiques. Pour y parvenir, les juristes musulmans des premiers siècles de l'islam, ne disposaient que des prescriptions coraniques peu nombreuses et limitées au champ restreint des pratiques religieuses, civiles (testament, mariage...) et pénales. Comment interpréter le Coran et la Tradition prophétique pour dire le droit ? Comment suppléer au silence des textes fondateurs afin d'adapter les réponses aux situations concrètes des premières sociétés islamisées et aujourd'hui à celles du monde moderne tout en se référant à une norme, la sharî'a?
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Les grandes écoles de droit

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Dans la plupart des États musulmans aucune école juridique n'est imposée. Le mâlikisme domine au Maghreb et en Afrique subsaharienne. Il se réclame de Mâlik ibn Anas, un juriste médinois du viiie siècle. Son enseignement a fait l'objet de recensions sous le nom de Muwattâ' (titre traduit en français par La doctrine établie). Cette première grande compilation de jurisprudence islamique est devenue la vulgate des juristes qui l'ont abondamment commentée. Elle contient un corpus de hadîth-s et de pratiques juridiques consensuelles observées dans la « Ville du Prophète » pour répondre aux silences du Coran et de la Sunna.
Le shafi'îsme est enseigné en Indonésie, Malaisie, Afrique Orientale, le hanafisme en Asie centrale, Inde, Pakistan, Turquie. Al-Shâfi'î (mort en 820) est un des plus grands juristes sunnites. Il a enseigné et composé ses œuvres en Égypte. Il considère l'autorité du Coran et de la Sunna comme absolue et supérieure à l'autorité spirituelle détenue par les 'ulamâ'. Il privilégiait l'analogie (qiyâs) à l'opinion des hautes autorités.
Dans certains pays, un seul rite est reconnu, par exemple le mâlikisme au Maroc. En Arabie Saoudite, la tradition wahhabite adoptée depuis le milieu du xviiie siècle par les 'ulamâ' se réclame du hanbalisme minoritaire dans les pays musulman, dernière-née des écoles de droit sunnites, structurée au xe siècle. Son éponyme, Ibn Hanbal (m. 855) est surtout reconnu pour sa compilation de hadîth-set ses positions théologiques. Ses disciples diffusèrent l'enseignement juridique du maître, fondé sur la Tradition et le recours modéré aux méthodes de raisonnement des autres écoles.
Au Bahreïn, les shî'ites qui représentent la majorité de la population, suivent des écoles de droit différentes. En Égypte, où la tombe de l'imâm al-Shâfi'î fondateur d'une école de droit est particulièrement vénérée, le hanafisme a été diffusé par les souverains Ottomans à partir du xvie siècle mais au Caire, à l'époque des souverains mamelûks, la madrasa al-Nâsir (xiiie siècle) construite sur un plan cruciforme accueillait les maîtres des quatre grandes écoles sunnites.

Source 2

Qiyâs : le raisonnement juridique par analogie

Après la mort du Prophète, beaucoup de cas se présentèrent qui n'étaient pas prévus par les textes sacrés. Il fallut donc comparer et rapprocher des cas nouveaux de ceux qui se trouvaient dans les textes, en suivant certaines règles d'analogie. De la sorte, la comparaison de deux cas semblables étant justifiée, on pouvait s'assurer que tous deux étaient régis par la même disposition que le Coran. Ainsi se forma une quatrième source du droit: le raisonnement analogique, sur lequel les premiers musulmans se mirent d'accord.

Ibn Khaldûn, Muqaddima, 727.

Ibn Khaldûn (1332-1406) dont la famille andalouse s'était réfugiée en Ifrîqiya (ancienne province romaine d'Afrique du Nord) est né à Tunis. Grand lettré sunnite, historien passionné, influent auprès de plusieurs personnalités politiques d'Andalousie à l’Égypte, il enseigna la doctrine mâlikite à la grande mosquée-université al-Azhar au Caire et remplit avec rigueur les fonctions de grand qâdî (juge). Il rédige au Caire la Muqaddima, traité de science politique de mille pages en 1377. Le raisonnement par qiyâs n'a jamais fait l'unanimité des juristes musulmans. Il a été rejeté par les shî'ites et critiqué par des autorités sunnites. La nature de ce raisonnement logique a été discutée par les philosophes et les théologiens : était-ce un syllogisme ou un raisonnement analogique ?

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L'interdiction faite aux femmes de conduire en Arabie Saoudite

De mon point de vue, l’islam ne s’oppose pas aux droits de l’homme, ce n’est donc pas un problème religieux. Au niveau culturel, la société saoudienne est divisée sur la question de la conduite des femmes et cette division est purement fondée sur des croyances individuelles et personnelles. Certains extrémistes religieux soutiennent les femmes qui veulent prendre le volant et d'autres, très libéraux et progressistes, s'opposent au contraire à cela. L'inverse est naturellement vrai.
[...] certains prétextent que l'islam n'autorise pas les femmes à conduire. Tout est une question d'interprétation des textes religieux. Pour moi c'est une instrumentalisation de l'islam, les femmes du prophète Muhammad montaient bien des chameaux, les voitures de l'époque ! L'islam interdit aux femmes d'être seules avec un inconnu, c'est pourtant ce qui se passe quand une femme paye un chauffeur pour conduire sa voiture. Une femme au volant est donc plus respectueuse de la religion qu'une femme conduite par un chauffeur !

Interview de Sara el Haydar, professeure d'université à Ryad, Libération 25 octobre 2013.

En Arabie Saoudite l'école juridique officielle, le hanbalisme est à l'origine de pratiques sociales rigoureuses comme la Police des mœurs depuis 1940. L'Arabie Saoudite est le seul pays du monde où les femmes ne peuvent conduire un véhicule. Si aucune loi ne leur interdit, les autorités ne peuvent leur délivrer un permis de conduire. En 1990, une fatwâ du grand mufti a justifié le caractère illicite de la conduite d'un véhicule par une femme par un principe de protection — sadd al-dharaʿi. Il s'agit d'empêcher les gens d'utiliser un moyen qui n'est pas interdit en soi, mais qui les conduit à commettre des actes illicites. Accorder aux femmes la liberté de conduire les exposerait à commettre des actes inacceptables pour la Loi islamique.
Sara el Haydar est une universitaire saoudienne. Elle considère que l'interdiction faite aux femmes de conduire s'explique en premier lieu par des raisons sociales mais elle reconnaît l'importance de l’interprétation des textes religieux par les conservateurs et l' « instrumentalisation » de la religion.

Source 4

Fatwa contre le terrorisme donnée à Londres (2 mars 2010)

Les kamikazes « ne peuvent pas prétendre que leur suicide sont des actes commis par des martyrs qui deviendront des héros de l'oumma [la communauté musulmane], non, ils deviendront des héros du feu de l'enfer », a déclaré le Dr Tahir-ul-Qadri. « Il n'y a aucune place pour le martyre, et leurs actes ne seront jamais, jamais, considérés comme le djihad ['guerre sainte'] », a-t-il ajouté.

Le Monde du 02/03/2010

Tahir ul-Qadri est un érudit d'origine pakistanaise, avocat et membre d'une organisation soufie. Juriste sunnite très connu, il a présenté à Londres en mars 2010 dans une conférence de presse, une fatwâ (opinion juridique qui permet d'adapter le droit aux situations nouvelles) publiée en urdu et en anglais dans un livre de plus de 500 pages. Il y condamne à la fois les suicides et toutes les formes de terrorisme. Dans sa fatwâ, il s'appuie sur le Coran, la Sunna et les autorités religieuses.
Après les attentats du 11 septembre 2001, de nombreuses autorités musulmanes ont condamné les actes terroristes. Cependant certaines déclarations légitimaient la violence des Palestiniens à l'égard des Israéliens ou contre la présence militaire américaine en Irak. Depuis 2004-2007 des initiatives de personnalités religieuses, associations, écrivains du monde musulman ont condamné toutes les formes de terrorisme et d'attentats suicides. Dans ce contexte, Tahir ul-Qadri a publié une fatwâ argumentée condamnant radicalement le terrorisme — en particulier celui d’al-Qaïda — quelles que soient les motivations politiques de leurs auteurs. Dans une interview il a rappelé que : « Aucune bonne intention ni aucune erreur de politique étrangère de quelque pays que ce soit ni aucun autre prétexte ne peuvent rendre légal le terrorisme »