Qu’entend-on par Torah ?
Le mot Torah est dérivé de la racine hébraïque qui signifie enseigner. Cet enseignement, qui regroupe des récits variés – Création du monde, Déluge, Tour de Babel, histoire des patriarches Abraham, Isaac et Jacob, et des matriarches Sarah, Rébecca, Rachel et Léa, histoire de Moïse et de la Sortie d’Égypte, séjour des Hébreux dans le désert – contient également toute une législation, d’où l’appellation française de Loi.
Torah désigne avant tout ce que le français appelle le Pentateuque, ou les cinq livres de Moïse, c’est-à-dire la première partie de la Bible.
Le nom français des cinq livres de Moïse ou Pentateuque |
Le nom hébreu correspond aux premiers mots de chaque livre |
la Genèse |
Be-rechit (Au commencement) |
l’Exode |
Chemot (Noms) |
le Lévitique |
Va-yiqra (Et Il appela) |
les Nombres |
Ba-midbar (Au désert) |
le Deutéronome |
Devarim (Paroles) |
C’est l’ensemble de ce texte écrit dans les rouleaux de la Torah, qui sont lus à la synagogue et rangés dans l’armoire sainte.
Qu’entend-on par Bible dans le judaïsme ?
Bible est un terme d’origine grecque qui désigne ce que l’hébreu nomme Miqra’ ou TaNaKH.
- Miqra’ signifie lecture. La même racine sémitique a donné en arabe le mot Qour’ane, Coran.
- TaNaKH est l’acronyme de Torah (Pentateuque), Nevi’im (Prophètes), Ketouvim (Écrits, càd les Hagiographes)
Les chrétiens ont repris en partie la Bible hébraïque sous le nom d’« Ancien Testament », au sens d’« ancienne alliance », rendue pour eux caduque par la « nouvelle alliance », rapportée dans le Nouveau Testament qu’est le christianisme. Récemment, dans le christianisme, l’appellation « Première Alliance » a vu le jour pour annuler la polémique avec le judaïsme et retrouver le sens premier du grec diathēkḗ.
Le canon de la Bible hébraïque est légèrement différent dans le judaïsme et le christianisme, la division par chapitre également, mais le texte demeure identique dans les deux traditions.
Torah écrite et Torah orale
Pour les croyants, la Torah a été révélée par Dieu à Moïse et transmise au peuple hébreu sur le mont Sinaï. La recherche biblique pense que les textes ont été compilés et mis par écrit à l’époque de l’exil à Babylone (VIe siècle av. J.-C.).
Mais l’essentiel réside dans l’usage que les Juifs, croyants aussi bien que non-croyants, font de ce texte : son étude. La tradition juive dit qu’il existe 70 interprétations possibles pour chaque lettre de la Torah. À cette ouverture interprétative correspond l’extension du sens du mot Torah. Étudier la Torah, c’est non seulement étudier le Pentateuque, mais l’ensemble de la Bible hébraïque. Cet ensemble est également appelé Torah che-bi-ẖtav (Torah qui est écrite)
À cela s’ajoute la Torah che-be-al-pe (Torah qui est sur la bouche), c’est-à-dire l’ensemble des commentaires de tradition orale. Ces commentaires ouvrent le texte à diverses interprétations et commentaires transmis oralement de génération en génération. Après la destruction du Second Temple de Jérusalem et la fin de la souveraineté juive en terre d’Israël, afin de préserver cet héritage et l’unité du peuple juif alors que celui-ci vivait principalement en exil, rabbi Yehouda ha-Nassi (138 env. – 217 env.) entreprit de classer et d’organiser ces enseignements. C’est ainsi que naquit la Michna (Répétition), première mise par écrit de la loi orale.
La Michna comporte six ordres :
- Les semences (les bénédictions et les lois agricoles),
- Le temps fixé (le Shabbat et les fêtes),
- Les femmes (le mariage et le divorce),
- Les dommages (les lois civiles et criminelles, l’idolâtrie),
- Les choses saintes (le service du Temple, l’abatage rituel des animaux)
- La pureté (la pureté et l’impureté rituelles).
Ces commentaires sont classés dans deux domaines différents :
- La halakha (cheminement), qui est le domaine juridique
- La aggada (de l’araméen récit), qui regroupe paraboles, récits, aphorismes, ou plus largement, tout ce qui n’est pas du domaine juridique.
Les enseignements et commentaires d’environ cent cinquante sages, appelé tannaïm (ceux qui enseignent) y sont consignés. Les commentaires non retenus dans la Michna sont appelés baraïtot (plu. de l’araméen baraïta, enseignement extérieur)
La Guemara (achèvement) fut composée par les amoraïm (ceux qui expliquent). Son but est d’éclaircir le lien entre la Michna et la Torah en apportant de nouveaux commentaires.
Michna et Guemara forment le Talmud (en hébreu talmoud, étude). Il existe deux Talmuds : le Talmud de Jérusalem, achevé au IVe siècle dans les académies de Galilée, et le Talmud de Babylone, achevé au Ve siècle dans les académies de l’exil babylonien. Ce dernier, plus complet, demeure l’ouvrage de référence. La principale langue d’écriture est celle utilisée dans le monde moyen-oriental des premiers siècles de notre ère : l’araméen, langue si proche de l’hébreu que nombreux sont les passages de l’une à l’autre.
À quoi sert la loi orale ?
La loi orale indique comment interpréter les versets de la Torah, elle permet de faire le lien entre eux et développe ce qui n’est pas explicite dans le texte.
Exemple relevant de la Aggada : La Torah ne dit rien d’autre sur Harân, frère d’Abraham, que « Harân engendre Lot, Harân meurt devant son père Tera’h » (Genèse 11, 27-28). C’est par un midrach que ce verset prend son sens : Harân prend le parti de son frère Abraham, sorti vivant de la fournaise dans laquelle il est jeté après avoir professé sa foi en un dieu unique. C’est alors que les gardes du roi Nemrod saisissent Harân, qui n’a manifesté aucune croyance en Dieu, et le précipitent dans cette même fournaise. « Ses entrailles furent consumées et en sortant, il mourut devant son père » (Be-rechit rabba 38, 13). Abraham, habité par une foi sincère, surmonte l’épreuve, contrairement à Harân, qui n’est guidé que par son intérêt.
Autre exemple, relevant de la Halakha. Prenons le verset suivant : « Vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent. Celui qui causera une lésion à un homme, on la lui causera. » (Lévitique 24, 20). Pour comprendre ce verset, il faut regarder ce qui le précède et ce qui le suit. Il n’est question dans le chapitre que de dommages et intérêts. Le Talmud va développer l’interprétation de ces versets pour en faire une véritable législation. « Quiconque violente son prochain est tenu de le dédommager pour cinq choses : le dommage, la souffrance, le traitement qui l’a guéri, le temps perdu, l’humiliation », autrement dit : « le préjudice physique, la douleur, les frais médicaux, la perte de revenus, le préjudice moral ». Si l’on peut penser que le Talion a été d’abord pu être interprété à la lettre, la législation développée par le Talmud entre dans la logique de l’exigence demandée par Dieu à Abraham et sa descendance d’observer tsedaqa ou-michpat, équité et justice (Genèse 18, 19), et par conséquent d’établir des tribunaux.
Reste le cas du meurtre (« Vie pour vie »), qui fait également référence au 6e des 10 Commandements (« Tu ne tueras pas. »). La peine de mort fait partie du corpus législatif juif et elle est mentionnée à plusieurs reprises dans la Torah. Cependant, la Michna déclare qu’un tribunal serait considéré comme sanguinaire si en sept ans, il avait condamné un seul homme à mort (Traité Avoth 1, 10) ; pour Élie ben Azaria, ce serait même le cas s’il avait condamné un seul homme à mort en 70 ans. Nous sommes donc bien éloignés de l’image traditionnellement renvoyée par la loi du Talion.
Une lecture à quatre niveaux
La tradition mystique juive retient quatre niveaux de compréhension et d’interprétation du texte de la Torah, montrant que ces écrits ne doivent pas être pris au pied de la lettre :
- Pshat, (simple), sens littéral ou obvie, qui aide à une première compréhension du texte.
- Remez (allusion), sens allusif
- Drach (interprétation), sens indirect, à l’origine du mot midrach (« issu du drach »)
- Sod (secret), sens ésotérique.
L’acronyme de ces noms forme le mot PaRDèS, mot d’origine perse qui signifie verger en hébreu et qui a donné « paradis » en français.
Des techniques de lecture des textes
Les techniques d’étude des textes et d’argumentation sont strictes et nombreuses. Elles demandent une grande rigueur, une connaissance approfondie de la Torah, de la grammaire et de la syntaxe hébraïque et araméenne, de la casuistique. L’érudit qui développera un ẖidouch, nouveauté, c’est-à-dire un commentaire qui ouvre le texte vers une nouvelle interprétation, sera considéré avec respect.
Citons trois aspects originaux de la Loi orale :
- Le midrach, qui désigne à la fois une méthode d’exégèse herméneutique homilétique et les récits eux-mêmes, a donné naissance à une littérature très riche. L’histoire de Harân, frère d’Abraham, en est un exemple. La majorité du midrach fait partie de la aggada (récit). Il existe aussi un midrach juridique, bien que moins développé.
- La maẖloqet (controverse) qui sert à confronter des points de vue sur une question, n’a pas pour ambition d’aboutir à l’acceptation ou au refus de tel ou tel avis. Certes, le Talmud retiendra la mise en application dans la halakha de l’avis d’un sage plutôt que d’un autre, mais on retiendra l’opinion de ce dernier car l’intérêt réside dans l’argumentation et la contre argumentation. Ce goût pour l’échange explique l’aspect de ruche bruyante et bourdonnante d’une salle d’étude de yeshiva (école talmudique).
- Le pilpoul, argumentation fine (de l’hébreu pilpel, poivre), est un dérivé de la maẖloqet. Considérée dans certains milieux rabbiniques comme une vaine rhétorique, elle permet d’aborder et de clarifier les textes les plus complexes.
La page de Talmud
Une page de Talmud imprimée contient en son centre un passage de la Michna suivi du passage de la Guemara correspondant. Les commentaires de rabbins postérieurs à leur écriture ont été rajoutés sur les côtés. Le rabbin le plus célèbre se nomme Rabbi Chlomo ben Yitsẖaq, haTsarfati (Rabbi Salomon fils d’Isaac, le Français), plus connu sous l’acronyme Rachi (Troyes 1040 – 1105) [voir module Judaïsme I, section 3 et module Judaïsme II, section 3].
On peut également trouver sur une page de Talmud les commentaires du rabbin Hananel, exégète qui vécut à Kairouan (Tunisie) au XIe siècle.
Les versions manuscrites du Talmud sont rares, de nombreux ouvrages ayant été victimes d’autodafés décrétés par l’Église catholique. Le Talmud fut imprimé pour la première fois à Venise par un chrétien, Daniel Bomberg, vers 1520. L’édition dite de Vilna (Vilnius) de 1886 sert de référence actuellement.
À l’immensité du Talmud, on peut ajouter, parmi de nombreux ouvrages de référence :
- Le Michne Torah (redite de la Torah) est une synthèse du Talmud écrite par Moïse Maïmonide (Cordoue 1138 – Fostat 1204). [voir module Judaïsme I, section 3]
- Le Choulẖane arouẖ (Table dressée) rédigé par le rabbin Joseph Caro (Tolède 1488 – Safed 1575), est une codification abrégée de la halakha, qui sert de référence dans le judaïsme orthodoxe.
- La Qabbala (Kabbale) relève du sod, niveau de lecture ésotérique. La tradition juive recommande de ne l’aborder qu’après l’âge de 40 ans, c’est-à-dire en ayant déjà acquis de sérieuses connaissances bibliques et talmudiques. Son nom signifie réception, car celui qui l’étudie reçoit cette tradition ésotérique. La Kabbale contient plusieurs ouvrages dont
- le sefer ha-Yetsira (livre de la Création), qui énumère les 10 sephirot ou puissances créatrices.
- le sefer ha-Zohar (livre de la Splendeur), qui est une lecture mystique de la Torah « car dans chaque parole gît un mystère profond et les mondes inférieur et supérieur sont pesés sur la même balance » puisque tout ce qui vient d’en haut doit tout d’abord, pour devenir accessible, revêtir une enveloppe mortelle.